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L'ombre et la lumière

  • Eric PIERRE
  • 24 juin 2022
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 4 juil. 2022


Toute pensée qui sonne juste devra toujours retenir notre attention.

D'où qu'elle vienne.



90% des victimes de Daesh sont des civils musulmans.[1] L’Etat islamique tente de rassembler ses troupes et de colmater les brèches. Mais, contrairement aux apparences, le djihadisme n’est probablement qu’un baroud d’honneur. Un baroud effroyable pour toutes ses victimes. Mais les derniers soubresauts d’un monde qui s’éteint. Un monde qui a compris depuis longtemps qu’on ne résiste ni à Diderot ni à Voltaire. Même si on ne les a jamais lus. Même si on n’en a jamais entendu parler.


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Leurs idées ont imprégné le monde. Elles sont partout. La philosophie infuse et se diffuse lentement, dès lors que l'air du temps ne lui est pas trop défavorable.



Un tout autre chemin


Il existera sans doute de nombreux arguments valables pour contester cette théorie des « derniers soubresauts ». Et je ne sous-estime pas le temps qu’il faudra à ces derniers soubresauts pour s’apaiser. Sans doute, comme chez nous, plusieurs générations. Mais on commet peut-être l’erreur de regarder le monde musulman à travers l’exemple de certaines populations désœuvrées et désorientées de nos banlieues. En quête de repères, d’identité et de respectabilité, pendant que le petit monde des banlieues se radicalise, ailleurs, dans le vaste monde musulman – malgré cette minorité fanatique qui s’interpose – on semble s’engager sur un tout autre chemin et regarder vers un avenir bien différent. A travers la planète, combien d’adorateurs du Prophète encore disposés à renoncer à leur épanouissement personnel ? Combien de femmes musulmanes encore disposées à vivre dans l’ombre des hommes ? Sans doute de moins en moins.


En Iran, cette république islamique peu réputée pour son adhésion à l'esprit des Lumières, on compte entre 60 et 70% jeunes filles dans les universités. [2] En Arabie Saoudite, ce royaume wahhabite plus connu pour sa police religieuse que pour ses soirées dansantes, lorsque David Guetta – le plus célèbre DJ du monde, prince des nuits d’Ibiza – se produit, il réunit 130.000 personnes.[3]


Nous sommes le 29 septembre 2021 et j’entends à la radio qu’une femme, Najla Bouden, vient d'être nommée Premier ministre de la Tunisie. Ce n'est pas suffisant bien sûr mais c'est un pas. Encore un petit pas. Un petit pas de plus vers les lumières.


« Même s'ils n'ont pas encore tenu toutes leurs promesses, les printemps arabes de 2011[4] peuvent, selon moi, être qualifiés de révolutionnaires car ils marquent l'émergence de transformations culturelles profondes dans ces sociétés où les jeunes générations commencent à réclamer le respect de principes universels comme la liberté, la dignité et l'égalité des individus. » commente Myriam Catusse chargée de recherche au CNRS.[5]



Le tourbillon de l’histoire


Après la chrétienté, voilà le monde musulman qui semble à son tour aspiré par le tourbillon de l’histoire. On l’oublie parfois, mais c’est probablement dans ce monde d’hier – celui qui était le nôtre il n’y a pas si longtemps – qu’on trouve désormais les féministes les plus virulentes et les plus engagées. Celles qui risquent leur liberté. Celles qui risquent leur vie.


Nous nous sentons un peu éloignés de nos frères musulmans. Nous nous jugeons plus ouverts. Plus modernes. Mais, avec ou sans voile, avec ou sans polygamie institutionnelle, n’oublions pas trop vite ce qu’était chez nous la condition des femmes, l’autoritarisme de l’Église, les guerres de religion et la terreur de Dieu, il n’y a pas si longtemps. N’oublions pas trop vite la violence des combats menés pour la laïcité.


A quel titre l’Eglise chrétienne pourrait-elle s’ériger en donneuse de leçons ? Elle qui ne fut gagnée par les idées de tolérance que sous l'insurrection des laïques et des philosophes. Au jeu de la cruauté, entre un musulman exalté et un chrétien illuminé, savons-nous vraiment qui mérite la première marche sur le podium ?


« Je le dis avec horreur mais avec vérité. C'est nous, chrétiens, qui avons été précurseurs, qui avons été bourreaux, assassins. Et de qui ? De nos frères. C'est nous qui, le crucifix et la Bible à la main, n'avons cessé de répandre le sang. D'allumer des bûchers. » dénonçait Voltaire qui s'insurgeait alors contre la condamnation de Jean Calas, un protestant écartelé dont on avait laissé, le torse démembré, agoniser, pendant deux heures, en place publique.[6]


« Ce que nous reprochons aujourd'hui aux islamistes, nous l'avons fait nous-mêmes. Lorsque la première croisade s'empare de Jérusalem en 1099, sous les ordres de Godefroy de Bouillon, on massacre tout le monde : les musulmans, les Juifs mais aussi les chrétiens qui sortaient de chez eux en brandissant des croix et qu’on prenait pour des simulateurs. Les chroniqueurs européens de l'époque se flattaient d'apprendre que les croisés marchaient dans le sang jusqu'aux genoux » rappelait le scénariste et intellectuel Jean-Claude Carrière.[7]


Si les crimes commis par la chrétienté n’excusent pas ceux du monde musulman, ils nous permettent en revanche, de comprendre mieux cette histoire similaire que l’islam est peut-être en train de vivre aujourd’hui. Cette histoire violente d’une rébellion contre l’autorité religieuse. Une autorité qui s’accroche désespérément à des privilèges millénaires.


La religion c'est la parole de Dieu, la parole de Dieu c'est ce qui ne se discute pas, ce qui ne se discute pas c'est le dogme, ce sont les certitudes. Pour autant, ne croyons pas que le dogme et les certitudes soient l'apanage des religions. Nous sommes tous menacés. Gare à ne pas sombrer dans le puit sans fond du dogme et des certitudes !


Toute pensée qui sonne juste devra toujours retenir notre attention. D’où qu’elle vienne. Voilà le secret de toute vie intellectuelle et de toute vie démocratique réussie. Voilà le chemin qui conduit de l'ombre vers la lumière.



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[1] https://france-fraternites.org/90-victimes-de-daech-civils-musulmans [2] www.opinion-internationale.com/2014/03/08/quand-plus-de-femmes-que-dhommes-entrent-a-luniversite_23276.html [3] Interview de David Guetta dans l’émission « 50 minutes Inside » animée par Nikos Aliagas et diffusée sur TF1 le 2 janvier 2021. Festival électro de Ryad en décembre 2019. www.lefigaro.fr/musique/l-arabie-saoudite-veut-montrer-un-autre-visage-avec-un-festival-electro-20191225 [4] A partir de décembre 2010, le monde arabe fût fortement ébranlé par un mouvement de nature inédite issu des sociétés qui contestent les modalités de gouvernement autoritaire auxquelles elles sont soumises depuis des décennies. Parti de Tunisie, ce mouvement gagne rapidement l'Égypte, puis plusieurs pays du Maghreb et du Moyen-Orient : Maroc, Algérie, Arabie Saoudite, Oman, Koweït Bahreïn, Syrie, Yémen et Libye. www.universalis.fr/encyclopedie/printemps-arabe-revolutions-arabes [5] Entendu dans l’émission « Le temps du débat » animée par Emmanuel Laurentin et diffusée sur France Culture le 14 janvier 2021. [6] Entendu dans l'émission "Ils ont pensé la laïcité" diffusée sur France Culture le 8 décembre 2020 [7] Entendu dans l'émission "Les racines du ciel" diffusée sur France Culture le 26 février 2016 et écoutée en podcast le 3 septembre 2021.

 
 
 

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